L’indécision est un vent qui ne se laisse pas facilement dompter ; plus que de sublimer nos vies mondaines, elle laisse nos doutes les plus perfides se manifester. Si elle se fait discrète autant qu’elle ne s’impose lorsque le silence s’éveille, cette indécision nous rappelle combien il reste plus d’un chemin à parcourir pour qu’un semblant de répit se manifeste. Lorsque les choix tiraillent à plus d’un égard, l’indécision se fait reine.
Des jours maussades à ceux que le soleil alimente, on retrouve l’indécision, sempiternelle et toujours à l’affût du moindre de nos maux. Elle dépeint un bien sombre portrait de l’existence humaine, celui d’une amertume vouée – dans les apparences du moins – à apparaître comme un filin au travers duquel tout se vit : rien dans l’assurance et tout dans l’indécision.
Plus que le temps, les choix dans cette indécision constituent aussi les craintes qu’elle provoque ; si l’on se trouve aux prises d’une telle démesure, l’on ne saurait espérer que la raison pour pécule bien loin des nos rêves. Et si cette indécision forge un caractère, elle se constitue aussi en foyer pour les feux que plus d’une passion consume : sans s’oublier ni sans se voir, sans s’apprécier ni sans se savoir, l’indécision est comme cet éternel refrain qui rappelle combien se trouvent des vides à combler lorsque l’on se réclame de nos vies…
Éris se doutait bien que la salvation qu’elle désirait avec tant d’ardeurs ne pouvait se trouver à portée de main ; quand bien même son innocence encourageait des rêves naïfs, elle ne saurait que trop essayer d’éviter le caractère de son indécision. « Si les choix nous façonnent, quel miroir pour toute cette hésitation qui me ronge ? » se demanda-t-elle.
Sans prétendre à la sagesse qui mettrait fin aux questions pleines de doutes et sans réponses, elle se savait aussi tout aussi indécise face au poids qu’une telle tare revêtait. Comment, en effet, pouvait-elle s’abreuver d’expériences d’une vie détachée de tous doutes si l’indécision guette et menace à chaque tournant ?
L’irrésolution terrasse même le plus courageux du mortel sans doute ; aussi déterminé dans le verbe que dans la réflexion, c’est en retrouvant Jean qu’Éris espérait s’alléger de telles questions, tout en laissant son espoir lui susurrer à l’oreille que tous les dés n’étaient pas encore jetés…
« Jean, me voilà, là, muette, contemplant d’un œil vindicatif cette indécision qui me nargue et se joue de moi, qui guide ma vie alors pleine d’engouement pour des lendemains plus féconds lorsque je puise la force pour un choix. Hélas, si la tourmente s’invite, c’est aussi parce que je laisse cette indécision s’imposer sur ce que je souhaite, et me montrer combien de peines j’aurais laissé couler dans de telles futilités. Crois-moi, je laisse un désespoir vivre plus que je ne me laisse espérer, c’est une denrée bien rare et trop tôt disparue dans les contrées d’une vie qui m’échappe de beaucoup.
Le peu de choix que j’avais qualifiée de liberté jadis sont les mêmes choix dont l’indécision se nourrit à ce jour ; que croire alors ? Existe-t-il une vie éloignée de telles difficultés ? Je m’éreinte à la tâche, mais j’essaie encore et encore. Que le déshonneur m’abatte si je me soumets à la perfidie d’une indécision qui me suit sans que je ne l’aie choisie… »
« Éris, laisses-toi le temps de contempler avant même de questionner, voire fuir cette indécision que tu dis présente lorsque le choix s’impose. Si ces derniers nous façonnent et façonnent cette vie, alors cette indécision m’apparaît juste comme un doux baiser. Point de rancœur ; en effet, n’as-tu pas là les conditions pour une vie qui pourrait t’appartenir un peu plus ? Si indécision il y a, alors toutes les alternatives n’ayant jamais existé sont également celles qui se présentent à toi, et qui auront bien fait de te rappeler combien il reste plus d’un choix à faire pour la personne se réclamant d’une vie.
Cette tourmente me fait l’effet d’une bagatelle ; après-tout, si l’indécision alimente ton désespoir, c’est aussi un saut dans les abysses de tes propres résolutions et de ses folies. Ouvre les yeux et vois combien l’indécision est à jamais la seule salvation possible. Dure en apparence et en structure, elle est avant tout l’espoir que nos vies valent plus que des dés trop tôt jetés dans le fatalisme de nos vies… »
« Ta rhétorique se présente comme séduisante, mais elle sonne aussi comme naïve, incapable de saisir la véritable nature de ce qui nous fait… de pauvres bêtes jetées en pâture, incapables de raisonner lorsque l’indécision frappe de plein fouet.
Hélas Jean, il ne suffit pas de réfuter une tourmente pour la voir disparaître, et il ne suffit pas d’accepter nos irrésolutions pour voir nos choix nous satisfaire ; bien au contraire, l’enterrer ne ferait que renforcer la force avec laquelle je déverse ce fiel sur la douleur qui m’accable. Si mon cœur l’annonce, alors je ne peux me faire muette. Sans y trouver le répit, j’accorde aussi à ton verbe un peu de crédit, par sympathie plus qu’une éternelle conviction.
Loin de moi l’idée de m’abreuver à une telle source, c’est que, Jean, je doute encore du bien-fondé de cette l’indécision. Ne sommes-nous pas les premiers à en pâtir ? Ne sommes-nous pas les premiers à contempler avec regret et dégoût la plupart des choix que cette indécision provoque ?
Je la vois me narguant lorsqu’une telle chose se produit, me montrant combien j’aurais pu moi-même faire meilleur usage de ma raison et opter pour des alternatives plus fécondes. Si ma vie transparaît lorsqu’elle disparaît, mon bonheur m’appelle lorsque le doute guette. Et pourtant comme à chaque fois, un choix fondé en apparence n’égal que le regret de n’avoir su en faire un autre. Je ferme les yeux plus que je ne les ouvrirais jamais Jean, sans doute parce que je me refuse à accepter une sentence que je n’aie pas choisie. »
« Éris, tes mots laissent paraître ta sagesse et ton honnêteté honore nos liens, je n’en doute point ; l’indécision nous nargue plus qu’à souhait, et bien trop souvent lorsque la misère nous pousse à croire le bonheur comme réel ; faudrait-il se résoudre et accepter que l’indécision en terrasse plus d’un ? Loin de moi l’idée de t’en convaincre différemment, après-tout, il est des peines plus grandes que celles nageant à la surface de nos angoisses. J’en ai pour preuve cette même difficulté à faire des choix lorsqu’ils nous laissent de marbre et plein d’une attitude placide ; je travers parfois ces crises existentielles sans me résoudre à les accepter. Incapables de composer avec nos vies, nous la laissons se dérouler, et passer à côté de bien plus ! Jamais il ne nous fût donné de choisir encore une fois, et l’histoire de nos vies ici se répète : éternel bis repetita.
Si tu puises en toi la force de réformer ce fatalisme, tu saurais remarquer combien il existe des peines plus violentes qui se jouent lorsque l’indécision transparaît. Peut-être qu’il ne s’agit que d’un mal nécessaire ; les croyances que j’alimente à son sujet sont aussi celles que je ne veux véritablement accepter, je ne suis moi-même qu’un simple mortel aux prises d’une vie qui s’impose sur mes propres choix. Si j’en escompte bien une chose, c’est que je puisse trouver répit dans mes forfaits ; je digresse trop souvent lorsque je me laisse aller à un optimise plein de candeur Éris, toi de me le rappeler. Plus que des folies qui t’appartiennent, elles sont les maux de l’Homme, luttant à la surface, s’enorgueillissant lorsque les angoisses le chassent et le laissent désarmé pour une vie qu’il ne fait que subir. Plus que l’indécision, c’est un trop-plein de choix qui nous fait souffrir.
Si l’indécision se présente, elle a au moins le mérite de me bercer dans de douces illusions que je veux croire réelles. Et je l’accepte à défaut d’avoir trouvé satisfaction dans un déterminisme qui jamais ne me sied et toujours me fuit… »
« Jean, si l’on forge une telle indécision dans un atelier plein de misère, c’est sans peine que l’on digresse. Pour de tels maux, rien qu’une indécision pour forfait. Je ne peux concevoir les choix s’ils poussent ma barque dans des eaux tumultueuses, ou s’ils me bercent dans de douces illusions. L’indécision est aussi le poison que nous ingérons chaque jour à défaut de posséder un libre arbitre, et qui se réduit en peau de chagrin lorsque nous espérons. Les angoisses sont aussi celles que toi et moi redoutons ; et pourquoi les fuir ? Si elles reviennent avec une telle force, c’est pour mieux nous montrer que la faiblesse nous guette à chaque tournant.
L’indécision nous empêche d’avancer, et de composer avec nos propres réponses. J’y crains aussi une platitude sans lendemain, peu féconde ; le peu qu’elle nous laisse n’est que notre attitude bornée, et ce qui ne me contente pas ne pourrait être le succédané face à au poids de cette indécision avant que ma vie pousse un dernier cri en silence.
Peur dans le doute et doutes dans nos peurs : voilà ce qui nous constitue Jean. Jamais un tel désespoir n’égalera la réforme d’une vie que toutes ces petites craintes alimentent. Puis-je croire que si elle est un vent que rien ne dompte, alors mes mots sont sans effet ? »
« J’en doute Éris, donnons à nos tentatives le crédit qu’elles méritent si l’on souhaite dompter nos vies. Si l’indécision gouverne, elle permet également de voir combien nous avons les pieds scellés, condamnés, et coulants. Si une once d’espoir se déverse, elle permettrait de voir qu’une existence pleine de résolution est aussi une vie pleine de véritables illusions. Cela ne devrait pas suffire à nous abattre cependant. Le doute n’est-il dont pas le meilleur ami de l’Homme ? Comment la sagesse pourrait donc-t-elle exister sans qu’il n’y ait quoi que ce soit pour provoquer de telles angoisses ? Serions-nous également là, si nos vies ne répondaient qu’aux douces berceuses pleines de candeur ? Tous ces choix à faire, même s’ils ne nous appartiennent que peu, possèdent quand même à mes yeux une certaine valeur ; rien à nier je le conçois. Mais point de doute, en tout bien tout honneur. Je ne peux aussi disserter sur ce que l’on ne vit point. »
« Comment alors se sentir libre d’exister, libre d’être, et libre de se réclamer de nos vies Jean, si cette peur ponctue cette piètre entreprise et nous rappelle que les choix nous condamnent, qu’ils soient pris ou évités ?
Ne te rends-tu donc pas compte de ce fourvoiement qui te nargue ? Ne vois-tu donc pas comment il se joue de toi, lorsque tu oses affirmer qu’une vie les pieds scellés est un tant soit peu décent ? Sans doute le désespoir ne te laisse qu’incapable d’affronter ce qui me terrasse. La force que tu puises dans de tels états a au moins le mérite de te laisser avec un petit espoir en guise de réconfort, vain comme toujours ; mais qui suis-je donc pour attester de son caractère futile ? Si tu y trouves ton compte et ta liberté, alors je ne peux qu’envier cette situation. »
« Ne te méprends pas Éris. Si tu vois cette liberté et me qualifie de candide, tout me pousserait à croire que le berceau de mes folies est à jamais celui dans lequel je berce ; il existe cependant plus d’une envie et plus d’un désir qui me rongent, lorsque je me plais à contempler ces indécisions. Je me vois en effet là, épris d’un ardent désir de voir disparaître ces complications d’un trait. Mais rien que je ne puisse rayer pour le moment ! Lorsque j’aspire à une once de sagesse, je me rends également compte combien l’enfer pave plus d’une vie, et plus d’un destin.
Jeter l’opprobre sur une vie que nous n’avons choisie ne suffit plus ; cette même indécision atteste en son sein de la liberté avec laquelle nous nous devons désormais de composer : chiche certes, mais bien là hélas.
Que tes souhaits m’aident aussi à y voir plus clair, et mieux comprendre ce qui te ronge. Aurais-je annihilé tout espoir par désespoir ? Ce qui m’anime ne me satisfait que trop peu; et il n’y a que peu de décences dans un bonheur plein, mais toujours vide de toute satisfaction. Lorsque l’Homme nage à la surface de ses désirs, si posséder une vie qui aspire à ces mêmes désirs lui suffit, on ne saurait le blâmer pour avoir essayé.
Nos démons nous rongent sans que nous ne puissions nous en détacher Éris, et ils nous condamnent à pousser cette pierre, encore et toujours… »
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Jean avait ici éclairé les abysses de ces indécisions ; plus qu’un être plein de naïveté, il s’était aussi rendu compte du caractère futile de la tâche. Impossible de réformer de tels états, telle était la conclusion que Jean avait acceptée tout en scellant à jamais la porte de ses espoirs. Que nos yeux se ferment, et qu’ils s’en trouvent soulagés lorsque cette âpre illusion qu’est l’indécision nous berce. Les choix sont futiles, qu’ils soient acceptés ou non, qu’ils soient pris ou non, car après tout, rien de ce qui nous incombe ne subsiste véritablement.
Pour Éris, la situation était tout autre, car toujours en proie à son angoisse, elle ne s’était pas résolue à accepter un tel sort. Elle de voir cette indécision comme un doux poison qui aura raison d’elle lorsqu’un trop-plein de candeur s’imposera sur sa raison. Les états d’existence se subissent mais sans vraiment se changer. Quelle liberté donc dans ce monde dicté par des contingences qui se jouent de notre prédicament ?
La réponse se trouvait sans doute entre la naïveté de Jean et l’irrésolution d’Éris ; si le doute forge un caractère, il est aussi un éternel refrain qui nous rappelle combien se trouvent dans nos vies d’éternels vides que rien ne comblera…
Il soulevait de ses deux bras un rocher gigantesque ; Arc-bouté des pieds et des mains, il poussait ce grand bloc vers le sommet d’une hauteur ; mais à peine allait-il le faire basculer, qu’il retombait de tout son poids.
Et le bloc sans pitié roulait de nouveau vers la plaine…
Odyssée, XI, 593.