Les porcs-épics quand l’hiver est glacé, cherchent un peu de chaleur en se serrant les uns contre les autres. Mais les piquants de chacun s’enfoncent dans la chair de l’autre et la déchirent. Les porcs-épics s’écartent alors les uns des autres et sont ressaisis par le froid. De rapprochements en écarts et d’écarts en rapprochements, ils trouvent enfin cette voie moyenne où ils n’auront ni trop froid, ni trop mal, où ils passent compromis entre la douleur et le gel. Ainsi en est-il des hommes. Ils ne peuvent ni tout à fait vivre en commun, ni tout à fait vivre en solitude
Arthur Schopenhauer (1788-1860)
Amour,
puise-te considérer comme liberticide ? Je ne sais pas. Je tente ici de répondre à la question par écrit, mais tu comprendras alors aussi que les réponses que je constitue ne permettront pas de te répondre pleinement, d’abord parce que même en l’écrivant, les questions et leurs réponses gêneront à toujours ma réflexion, et ce parce que la pluralité des sujets que tu englobes m’échappent de beaucoup.
Les rapports qui m’ ont lié à toi ont toujours été des états en devenir ; aussi instables qu’ incomplets. De prime parce que rapidement après avoir apparu dans ce monde, tu surgis de manière brutale, mais aussi parce que tu n’as cesse de vouloir te faire omniprésente dans les situations de vie qui se présentent à moi.
Petit, l’on m’apprit que tu étais le fondement de toutes choses et que ta bonté permet somme toute de venir à bout de tous les maux. Ces mêmes maux dont on veut faire l’impasse car sans doute trop douloureux et lourds à porter. Dans les motifs que tu avais, certains trouvaient leurs sens dans une sphère métaphysique, d’autre dans l’appréciation de l’ouverture à l’autre, et ce dans la plus simple mesure.
En conséquence, les nombreuses questions que tu amenais vers moi amorçaient de manière involontaire une rupture entre la Liberté et moi. Il m’était impossible de dire que composer avec toi était chose facile, tout comme je n’ai jamais pu nier la force que tu as toujours mis à te déployer de la sorte. Je me souviens de la foi ou toi, dans ta grandeur, me prit la main, petite carcasse, pieds nus vacillant sur les planches. Je n’avais alors en tête que la volonté de retarder l’apparition de ma honte qu’il me semble, tu prenais un plaisir certain à exposer. Tu comprendras alors pourquoi au fil des années, je n’ai pu voir dans tes apparats que là une manière de plus de me ridiculiser. Comme si tu y trouvais ta substance. Aussi j’ai très tôt éprouvé le besoin de voir comment tu fréquentais mon voisinage ou mes camarades, et, toujours épris d’un sentiment de culpabilité, c’est avec une déception certaine, que tu adoptais le même comportement. J’avais espéré que dans une moindre mesure, c’est parce que j’éprouvais ce sentiment envers toi que tu travaillais à m’anéantir au fil du temps. Cela m’apparût alors comme une chose dénuée de sens quand, pour en avoir le coeur net, je n’hésitais pas à questionner les personnes que tu fréquentais. Parfois, pour certains tu avais d’autres noms, mais pour moi, ça n’était que toi, en motifs travestis. Cachée sous une cape de berger tu étais le seul loup à n’avoir jamais perpétré ton emprise.
J’avais alors pensé que cette force ne pouvant être défaite, je me devais de trouver un moyen de t’accepter, et d’apprendre de toi les rudiments d’une cohabitation, non sereine, mais paisible. La Liberté, pour laquelle j’ai commencé à avoir une aversion certaine ne me permettait pas cette entreprise. C’était pour moi une obvie que vous étiez alors comme deux pôles qui lorsque leurs forces s’ exercent se créé un courant d’opposition. J’ai même, dans mes moments de faiblesse réussi à accorder du crédit à ceux qui n’avaient cesse de tarir d’éloges sur ta personne, faisant de toi un esprit fort, combatif, mais tolérant. J’ai trainé de nombreuses années ce que je pourrais qualifier d’hypothèse aujourd’hui. Encore une fois, pardonne moi, mais c’est dans cette écriture instable que je trouverais la justesse pour m’exprimer. La Liberté m’apparût, d’abord, (sans que j’eût connaissance du futur lien qui s’était avéré être une nécessité entre vous deux) comme une compagne de fortune. Une alternative de vie forte pour esprits faibles. N’avais-tu pas alors besoin de te savoir mis en compétition, sur des sentiers que j’ eût fatalement finit par emprunter ? Si j’avais alors plaisir à courir après cette liberté, c’était aussi parce qu’elle m’inspirait confiance, et, à ta différence, ne me faisait pas petit, ou même invisible quand j’avais entrepris des décisions.
Je me rappelle également les fois où tu étais là ; à mes côtés. Une fois, puis deux, puis trois. Alors je me réconfortais comme je le pouvais, en me pensant que ta présence n’était qu’une certaine nécessité. Abstraction faite des choses sur lesquelles je n’avais aucun pouvoir (je me rappelle par exemple un soir, où, dans une colère, ou encore par dépit ; j’eût rabaissé de manière directe une personne, qui sans doute ne le mérite pas. ) il m’est aisé maintenant de constater comment par le truchement de ma réflexion tu perdis rapidement ton caractère de nécessité. Peux-tu le comprendre ? J’imagine qu’il y a là pour toi de quoi me jeter l’opprobre, taxer ces mots de diffamateurs. Pauvre éhonté que je suis !
Vois plutôt cela comme les parcours différents de deux êtres qui pour tendre vers un but commun, doivent chacun gravir des marches ; grandes pour le premier et ridicules pour l’autres, mais supérieures en nombre. Alors que le deuxième finira sans doute premier, il va s’en dire qu’il en gravira d’autres, des milliers d’autres ; et ce sans qu’il ne prenne pleinement conscience d’une quelconque difficulté. Quelle leçon tireras-t-il alors de son parcours ? Rien sinon qu’aucune difficulté ne se présenta à lui lorsqu’il eût à gravir ces marches. Tandis que l’autre, déploiera de toutes les manières sa force pour gravir chaque marche qui lui semble être une éternité. C’est alors qu’ il verra dans chaque marche, une épreuve, un combat. Combat pour lui- même contre la vie et ses paliers. Te côtoyer permit alors de mettre le voile sur les marches que tu finit par me faire emprunter. Tu savais alors que je ne m’étais pas posé la question de savoir pourquoi je n’éprouvais aucune difficulté à gravir ces mêmes marches. En réalité (et je peux te le dire maintenant) tu maquillais les difficultés et me faisait gravir le mauvais ensemble de marches.
Il y avait aussi cette pénible manie que tu avais de systématiquement vouloir embellir toutes les situations. Comme si elles avaient besoin de toi pour exister et être agréables à vivre. Et je comprit plus tard que sous le coup de la Liberté, l’effet n’en fût que salvateur.
J’eût l’occasion de débattre sur toi quelques temps auparavant avec une amie, qui, pensait que vous étiez plusieurs ; quand alors j’ eût travaillé à lui expliquer que tu n’est qu’un quand tu revêts simplement plusieurs formes. J’aurais sans doute payé plus fort le prix en ne sachant pas auquel j’avais affaire. Peut-être même que pour elle ce fût le cas, et dans vos ensembles vous étiez sans doute moins difficiles à supporter.
Comment clairement définir ton influence, ou ta personne tout simplement ? Si je daigne faire le bilan sur les années passées, alors que je ne voulait que te voir en support, ou canal, il s’avéra que pour la plupart des individus que je fréquentais tu étais une instance incarnée en finalité. Je ne m’expliquait que difficilement cette aversion que l’on avait pour toi. Après-tout, n’es-tu pas qu’une simple moyen et non une fin ? Si cela avait été aussi simple, je n’aurais pas alors investi autant de temps dans ce travail qui me coûte autant en pensées qu’en ambitions. Aussi si je travaille à le faire, c’est parce que je reste persuadé que tu te joues de moi, et que la difficulté réside dans les tentatives de te définir. Je te vois unique mais muni de différents visages quand tu te présentes à ma famille, mes amis, ou mes relations. Dans ces trois formes là, tu revêts un visage différent pétrit des mêmes expressions…
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