Liberticide – partie 3

N’avons-nous pas là les mêmes dynamiques humaines ; celles qui considèrent le prochain comme un être à chérir et à honorer. Si là fut ton ambition, alors je serais incapable de pleinement te répondre. Pardonne-moi, ce sont sans doute là des subtilités que je peine à percevoir, si tant est qu’elles existent bel et bien et que cela n’est pas là une lubie de mon esprit. Je ne pourrais m’en étonner (et cela expliquerait la plupart des questions qui subsistent), mais les matériaux se font rares, donc l’entreprise difficile . Aussi, ça sera ce à quoi je m’en tiendrais.

Pauvre, celui, qui, dans un moment difficile, cherche refuge et pardon chez toi…


 

C’est dans la dernière catégorie pour laquelle la question prends tout son sens. Catégorie dans laquelle j’eût sacrifié beaucoup de moi en ton nom, catégorie de lien et de séparation plus courants, catégorie d’esprits forts pour corps faibles. Et pour être franc à ton égard, combien ne t’ai-je pas maudit, et combien je souhaitais ta mort (sans doute bien après la mienne). Et jamais tu n’as été capable de m’ expliquer tes agissements. J’eût beau tenter de comprendre, mais il fut évident que tes entraves étaient bien trop puissantes pour moi. Je n’avais aucune arme face au caractère de nécessité que tu réussit à imposer. Il me parut alors évident que c’était auprès de la Liberté qu’il m’aurait été possible de taire les meurtrissures, du moins, en ai-je toujours eu l’impression (et rien ne vint contredire cette idée). Les premières aventures (je tairais les incidents) que j’ai connu n’étaient que trop superficielles et inconscientes pour venir appuyer ce support de manière sérieuse, mais elles ont au moins le mérite d’amorcer le débat. Sur les trois aventures sérieuses que j’eût connu, des trois j’étais toujours animé par cette fervent idée que tu étais l’entrave même à ma liberté. Et même si il m’a paru toujours évident que tes nombreuses formes m’auraient permit de soulager le fardeau que je voulut bien me donner, c’est dans un état de détresse certain que se trouvaient mes consciences. N’avait-tu pas voulu plus d’une fois, par ton entremise, me voir à genoux ; ou encore – comme la fois ou tu me fit mettre à mort ma liberté en me forçant à quitter le domicile familial – attendre de moi que je taise tout esprit critique et estime personnelle ; si tu réussit à prouver que dans ma situation, des motifs plus importants nécessitaient toute mon attention ?

Curieusement, je n’étais pas vraiment capable de faire mûrir cet esprit critique,et animé par tes ambitions, ce sont des pans entiers de ma personne que j’annihilait quand alors, je prenais les plus stupides décisions. C’est d’un esprit qui se tourne vers le passé que l’on reconnaît ses erreurs. Mais n’est-ce pas là la définition ; Comment pouvais-je me rendre compte sur le coup que je vivais de fourvoiements en fourvoiements ? Je me souviens des nombreuses fois ou par ta faute j’ai eu à alimenter le mensonge auprès de mes parents (encore une fois, j’étais alors trop embourbé dans les pièges que tu me tendais), mensonges qui n’ont fait que grossir la culpabilité qui n’a cesse de me ronger désormais. La Liberté me dit « après cela, il n’y a rien » mais c’est bien dans ce vide que je souhaite me positionner depuis toujours…

Je me rappelle de ces nombreux moments passés à discuter à ton sujet. Il y avait là en partie des impressions de jeunesse impossibles à transmettre. Aussi parce qu’il me parût évident que tu t’arrangeais toujours pour asseoir ton ascendant de nécessité sur moi comme si tu était fait d’une matière immuable du jour de ma naissance à aujourd’hui. C’est dans cette dynamique que tu réussis aussi en partie (sans vraiment que tu l’aies anticipé à mon sens) à définitivement devenir pour moi une entité dont je devais rapidement me défaire. Quand je travaille à rendre les éléments que je porte contre toi objectifs, je commencerais comme cela : dans les débuts d’une relation, je t’ai toujours vu sous ton plus beau visage. Il me paraissait alors évident que l’idée de me faire du mal ne faisait en rien partie de ton entreprise. C’est bien sûr durant les premiers moments (moments qui purent indifféremment durer des jours ou des mois) que tout se passait pour le mieux et que je n’avais à ton égard aucun reproche. Je saurais bien sûr qualifier avec précision ce sentiment. D’abord parce qu’il put s’inscrire dans une temporalité aussi forte, mais aussi, (et c’est là selon moi que je me rapproche plus du vrai en opposition à la première indication) le changement que tu amorçât était si fort et si traumatisant pour moi, que je n’ai cesse de penser à la manière dont je daignais te considérer lors des débuts. Je qualifierais avec le présent recul la première période, non de félicité, mais de relative naïveté. J’eût véritablement l’impression que tu savais te doter de tous les charmes nécessaires au dessein que tous te donnaient et continuent pour certains de te donner. Il me parut évident que cette naïveté ne faisait que taire les décisions secrètes que tu prenais.

Naïve, car pour beaucoup, la suite des événement pouvait être anticipée, et j’ai été là plus d’une fois naïf. Et c’est sous ce masque d’euphorie que tu me fit porter, qu’il me semblait alors possible de te faire face. C’est une période dans laquelle l’on reste persuadé que les forces qui nous poussent à agir ne sont pas des forces égoïstes, mais qu’au contraire, on agit pour l’autre. N’as-tu, plus d’une fois, tenté de légitimer cela en rendant l’autre non pas comme un faire-valoir, mais comme simplement la finalité en pureté de nos gestes. Il va s’en dire que c’est simplement en apparence que se cachaient les plus violents caractères d’égoïsme. Et ça serait de mentir que de dire que je n’en fût point la preuve faite homme. J’ai également attendu de toi de te voir incarné en bonté véritable quand l’action de l’un ne ferait que servir l’autre, mais avec regret, je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir trouvé ce cas concret alentour. En somme – et je me l’admets à moi-même – rien dans ce que j’ai pu expérimenter avec toi ne fût empreint d’un quelconque caractère philanthropique, mais, j’étais alors capable de saisir (quand je faisait alors l’impasse sur ce masque de naïveté) pleinement le caractère de mes actions. Il m’était également impossible de nier que l’autre n’agissait pas également de cette manière. Sans doute ce sont là des choses que l’on garde secrètement pour soi. Dans le fond, était-il vraiment nécessaire de blâmer l’autre pour cela ? Il y avait également de quoi nourrir mutuellement des reproches, par exemple je me souviens des fois où je pensais être le seul à détenir le matériau me permettant de légitimer les reproches que je tenais, mais réflexion faite, ce même matériau pouvait être transposé et se retourner contre moi-même sans que l’on ne puisse y faire grand chose. Sache que c’est dans ces moments là que je me rends alors compte de ta perfidie, la question étant alors, “Comment en sommes-nous arrivés jusque là ?”. Comment alors réfléchir et comprendre qu’avant même que nous ayons eu le temps d’être préparé à cette indisposition, elle arrive et nous frappe de plein fouet. Il va s’en dire, que si le choix m’eût été donné quant à la tournure que les évènements durent prendre, il en aurait été autrement. Il n’y aurait alors aucun reproche, aucun sujet de discorde, aucune phase de mécontentement. Comme il est décontenançant de voir à quel point finalement, il ne nous est, et, ne nous sera jamais donné de choisir les tournures que les évènements prendront. J’ai dans mon souvenir le choix des routes et des directions, mais pas de la destination, et je crois qu’au fond, c’est bien la destination qui me déplût, et amena toutes ces choses.

Dans mon cas, je m’opposais aux projets d’amours en tant que tel. Voir un mariage ou un enfant comme l’inscription dans un processus naturel a toujours été quelque chose que j’eût du mal à véritablement comprendre. Elle me dit “j’ai hâte”. Hâte ? Est-ce là une manière classique de voir une relation ? Un ensemble de paliers, et comme si le temps nous était compté sur le palier actuel – tout comme il nous fallait nous empresser de nous rendre sur le suivant. C’est à croire que l’actuel perdait de toutes façon en saveur, et c’est dans sa douceâtre monotonie que se trouvais le plus grand danger. J’eût pour ma part, toujours refusé l’évolution dans ces rapports. Je qualifiais là de dégoût le fait de vouloir toujours voir ailleurs et en intensité différente, comme si l’on finissait par se lasser des choses que l’on avait construites avec l’autre. N’y a-t-il pas des centaines (voire des milliers) de personnes atteintes par cet affect ?

Ne passons-nous pas d’un petit appartement de quelques mètres à un logement que l’on finira par acquérir ; et que le temps transformera en réceptacle aux projets à venir ? Un enfant qui deviendra des ; une téléviseur qui passera pluriel et avant cela une célébration de mariage, pour laquelle un corpus stipulera que l’on mettra son union dans un cercueil ?

Bref, ce furent définitivement ces idées que je passais mon temps à fuir, et je savais alors que je m’exposais trop quand je cherchais à me justifier auprès de l’autre ; justification qui devint frustration ; frustration qui devint silence ; silence qui finit par devenir l’objet du reproche. C’est une autre chose alors à laquelle je me permets de penser : je n’ai jamais su m’expliquer vraiment le lien qui existait entre le fait de s’unir avec une personne et les nombreux engagements tacites qui s’y rattachaient. Je pense par exemple au fait que j’avais à toujours devoir me justifier. Comme si la quintessence de mes actions furent alors soumise à l’approbation et au jugement de l’autre. N’étions-nous pas libres de faire ce que l’on voulait ? Selon moi, plus véritablement, et encore une fois, je te reconnais ton caractère liberticide. Je ne pouvais par exemple profiter pleinement de certaines choses comme j’en avais l’habitude autrefois – habitudes qui semblaient dénuées de sens. Je me devais de mettre un terme à un ensemble de choses pour que le couple fonctionne. Sur l’ instant, cela avait un sens et parût naturel, mais c’est avec le recul que je comprends véritablement qu’il n’est fondamentalement possible de l’expliquer. Ma gestion du temps fut la chose qui en pâtit le plus. J’avais alors toujours mes pensées comme refuge, mais il m’était impossible de vivre le temps comme je voulais l’entendre. Nous nous devions par exemple avoir des activités communes, quand il ne m’était pas demandé de savoir ce que je pensais parfois . Ce furent des moments difficiles, demander à un être peu habitué à s’exposer ou à parler de lui sans gêne ; s’ouvrir finalement ; demeure quelque chose de sensible. J’arrivais à saisir l’important caractère que toutes les choses que nous devions faire en communs revêtirent ; mais j’ai toujours été incapable de le comprendre ou l’expliquer. Pire que ça, ces choses communes semblaient être assimilables à un mortier nécessaire au bon construit d’une relation, subtile d’étrangeté…

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