Éreinté par sa longue traversée, Ulysse, roi d’ Ithaque, décide de faire halte près du premier puits qu’il trouve, lui semblant loin de tout danger : paisible et sans tumultes. Son voyage pour Lacédémone attendra.
D’un vent lui caressant le visage, c’est l’esprit clair, qu’il décide en mots de communiquer ce que son esprit fugace lui dévoila plus d’une fois envers Anticlée, fiancée de Laërte. Pleins de ses démons, il s’en trouve résolu :
“Que ce message ne te parvienne pas ; j’y laisserais néanmoins les traces de mon calame, et pour un coeur plein de meurtrissures qu’un lourd voyage affecta, je te dirais de ces mots combien mes peines sont lourdes Anticlée. Pour les tentatives vaines que nous avions de nous réunir, et que Laërte n’y conçoive qu’impossibles rumeurs, notre amour néanmoins sera notre réunion. Pour tout ce que mon départ précipité m’a pris sans que je puisse te le donner, et pour tout ce que mes peines traduiront en silence résolu. Pour que tu comprennes aussi que ce long voyage pour Lacédémone ne sera pas le dernier, il ne sera surtout pas le principal. Pourquoi a-t-il fallu que nous nous quittions comme plaisir de nouveaux-nés, pour que la longue peine des jours nous transforme ? Plus dur que le voyage, l’idée aussi de te voir loin de moi. Anticlée, quels Dieux devrais-je encore invoquer, ou quel père devrais-je encore honorer pour que notre amour brille de milles feux comme il le fit jadis ?
De mes résolutions je tenterais de traverser les enfers, et que cet acharnement soit suffisant pour te convaincre de toutes les peines que j’y déploierais. Ton voyage fût également tumultueux et difficile ; que l’ombre de ton bien aimé t’ait aussi empêché de me parvenir au travers de tes sentiments. Réserves de nos ombres et silences irrésolus, que les énigmes qui nous poussent à agir comme nous le fîmes soient bannis. Jamais je ne voudrais revoir ces âpres jours et ces nuits durant lesquels je chantais un fuyant espoir. Peut-être que se cachait pour nous le plus beaux des miracles, mais les Dieux me semblent bien rusés : le coeur petit, j’eus tué mes afflictions. Nos longues proses ne nous laissèrent qu’affaiblis et plus lourds que la lance attachée à ma besace jours et nuits. Anticlée, accepte aussi comme il se doit mon repenti, celui d’un fils de deux mortels n’ayant que le nom pour éternel, et mes cendres y déposeront sur tes toiles l’envie de j’avais de raviver la flamme que le poids de ma destinée avait trop trop éteint. Et comment éliminer le lourd fardeau de nos incompréhensions, alors qu’elles se jouent de nous chaque solstice ? Crois-aussi que la rage que j’eus poussé laissait entrevoir pour nous une terre fertile, afin que l’unisson de nos battements renaisse.
Tentatives vaines ou tentatives sans raisons, elles nous poussèrent néanmoins a tenter de concilier notre distance en mots, et c’était bien dans la difficulté que je revoyais ton mystérieux visage, éternel compagnon de mes jours, repos de mes périples. J’eus cru qu’à mon égard ton intérêt s’était terni, afin que ton union avec Laërte mette à fin au notre, et c’est bien la distance qui alimentait dans mon domaine un feu avec lequel je finit par me brûler. Chère Anticlée, alimente-moi de tes mots et chante-moi tes raisons comme tu le faisait jadis ; le réconfort assouvira ma soif et calmera un coeur enragé. Puisse-tu te résoudre à blâmer les multiples drames que nous vivions, ils furent pour moi une monture me permettant de continuer mon dur périple. C’est en Ithaque que les jeux et le vin alimentèrent mon courroux à plus d’une fois, surement parce que notre confidence n’avait d’égal que la durée de mon long périple. Loin d’être céleste et vertueux, j’accepte en moins les qualités d’un fils de mortel et elles avaient sur moi un poids bien plus grand que j’eu espéré.
Si la mort m’abat ici, jamais je ne verrais Ithaque mais bien pire, jamais je ne te reverrais ni ne reverrais notre réunion et ce qu’elle eût apporté jadis en grâce. Quels dénouements pour toutes ces énigmes ; sinon notre espoir de voir se déployer de ses ailes célestes notre inclinaison à une vie réunie sans occultes mystères et impénétrables mots. Anticlée feras-tu pour nous ce qu’il fallait que nous fîmes depuis tellement longtemps ? Seras-tu pour moi la seule et unique créature, et nouerais-je en ton sein notre éternelle union ?
Ma plume sera aussi droite que je puisse, et si j’y déploie mes forces, elles sont aussi là pour attester de la bravoure me poussant à agir de la sorte. Plus d’une fois je me suis vu, effrayé à l’idée de ne pas parvenir à concilier toutes les foulées qui nous séparent. Et si les Dieux viennent à nous oublier, tant pis ; nous serons aussi moins éreintés et moins enclins à les laisser se jouer de nous. Mais chère Anticlée, mon désir pour toi s’alimente de tes passions et non des miennes ; et si le feu que je brûle me consume avant que mon périple prenne fin, j’entretiens pour nous ton désir d’alimenter nos passions et non les tiennes.”
Deux sabliers coulèrent et c’est en posant le calame qu’Ulysse contempla un espoir intérieur ; un espoir pauvre et silencieux, que son périple efflanqua.